«A un moment, l’humain et ses sentiments doivent laisser la place au professionnel», nous a dit notre chef avant la rencontre. Il suspectait qu’on avait choisi notre camp. C’est normal: à force de regarder gambader sur le pré ces petits bonshommes du pays de Galles, on s’attache. Aux supporteurs aussi. Aller à Lille pour ce quart contre la Belgique, c’était l’occasion d’apprécier, peut-être pour une ultime représentation, le dernier peuple chantant encore qualifié.
Sur le papier, l’équation était simple et pouvait aider à répondre à une question toujours en balance. Est-ce l’Euro des collectifs avec une ou deux personnalités fortes par équipe qui se mettent au service du tout, ou, au bout d’un moment, est-ce que l’association d’individualités exceptionnelles ne finit pas par emporter la mise? D’un côté le pays de Galles, de l’autre la Belgique. Avec, bien sûr, des inconnues: la capacité du trio britannique au milieu, Ramsey-Allen-Ledley, à tenir plus de 70 minutes, la défense expérimentale et la jeunesse belge et le geste (un coup franc de Bale, une accélération d’Hazard) qui fera la différence. Sans oublier l’amie des escargots: la pluie.

Les Belges tirent les premiers

On n’a pas été déçu, surtout après la purge de jeudi entre la Pologne et le Portugal. Dans ce bulbe qu’est le beau stade Pierre Mauroy, l’ambiance est formidable dans les tribunes et tout autant sur la pelouse. Les Belges attaquent d’entrée très fort. Au bout de deux minutes de jeu, ils ont déjà centré trois fois dans la surface adverse. A la 6e, ils bombardent trois fois de suite à bout portant la cage adverse, c’est un miracle si les Gallois ne prennent pas un pion. Ce n’est que partie remise. A la 12e, le milieu des Diables rouges Nainggolan, seul à l’extérieur de la surface, décoche un missile extraordinaire qui vient se loger dans la lucarne, 1-0. Les Belges venus très nombreux en voisins peuvent chanter «les Lillois avec nous»et on a un instant un peu peur que la rencontre soit à sens unique.
On avait tort. L’équipe de Wilmots est une association formidable de talents mais est aussi très jeune. A 24 ans et 242 jours de moyenne d’âge, le Onze titulaire ce vendredi soir était le plus jeune aligné à un Euro depuis la Yougoslavie contre l’Italie en 1968. D’où, peut-être, une tendance au relâchement? Les Diables rouges reculent petit à petit tandis que les Dragons prennent le contrôle du milieu de terrain. A la 26e, le gardien Courtois sort un énorme arrêt sur une reprise de Taylor. Avant qu’à la 31e, Ashley Williams ne trouve la faille, logiquement. De la tête, sur corner, le capitaine emblématique de la sélection et défenseur de devoir s’il en est, se joue du gamin Jordan Lukaku, trop court sur ce coup-là et en difficulté depuis le début du match.
1-1 à la mi-temps et une dynamique favorable aux Gallois, même si, avec trois cartons jaunes pris par des joueurs défensifs, la menace de terminer en infériorité numérique est forte pour eux.

Le chômeur libérateur

Au retour des vestiaires, Wilmots comprend qu’il doit regagner la bataille du milieu. Il sort Carrasco, un ailier, pour Fellaini et ça semble payer au départ, avec un bon pressing et quelques actions dangereuses. Pour les Gallois, c’est désormais trop bouchonné au centre? Pas de problème, il suffit de passer au-dessus. Gareth Bale, partout, à la fois à la bergerie, sur le pré et à la tonte du mouton, lance dans la profondeur Ramsey sur la droite. Le milieu d’Arsenal trouve Robson-Kanu dans la surface.
Ensuite, on est dans l’ordre du miracle. Sans club depuis le 30 juin, l’ex-attaquant de Reading en deuxième division anglaise, trois buts en championnat l’année dernière, autant dire rien, se joue de deux défenseurs belges d’une magnifique talonnade pour lui-même et trompe Courtois. 2-1 à la 55e et dans les tribunes les chants gallois prennent le pas sur les tambours d’outre-Quiévrain.
Les Belges ne s’en remettront jamais. Ils ont beau pousser, ce n’est pas très dangereux et pas assez construit. Une scène nous marque, à la 84e. Ramsey obtient un coup franc et se roule logiquement par terre pour faire passer un peu le temps. Au bord du terrain, deux Dragons plaisantent avec le staff. Ils se désaltèrent, sourient, se lancent des petits objets. Ils sont sous pression et pourtant c’est comme s’ils savaient qu’ils allaient passer. Deux minutes plus tard, Gunter centre pour Vokes dans la surface qui s’amuse de la tête entre deux Belges. 3-1, la messe est dite.
Le pays de Galles affrontera pour les demies le Portugal, avec, pour seule ombre (importante) au tableau, l’absence de Ramsey, suspendu. Une performance déjà historique pour sa première participation à un Euro.